Portrait : Michael Cimino, déçu de l'Amérique (2)
Avant Apocalypse Now, il y eut Voyage au bout de l'enfer. Un petit projet de sept millions de dollars qui devint au fur et à mesure du tournage (et au grand dam de ses producteurs) une énorme fresque de quinze millions et de près de trois heures. Les journaux suivirent le tournage de près, les financiers consultaient régulièrement les dépassements de budget, on parlait d'un nouvel enfant prodige. D'une force poétique indéniable, The Deer Hunter sort en 1978, fait un carton quasi inédit pour ce genre de film, et ramasse cinq des principaux oscars l'année suivante. Cimino entre dans la légende, son film est un classique instantané, une œuvre mémorable contre laquelle les ligues des anciens combattants se déchaînent. La beauté des plans subjugue les critiques, et le public, touché par le destin de ces trois américains moyens partis défendre leur pays, transforme le film en véritable triomphe (près de cinquante millions de recette sur le territoire américain) sur lequel se bâtit l'immense malentendu autour du cinéaste. On le sait politisé, on le croit en adéquation avec le public, on le compare à Spielberg ou Coppola, on l'assimile immédiatement à cette nouvelle génération de cinéastes qui ont pris les rênes d'Hollywood dix ans plus tôt. Né cinquante ans trop tard, Cimino profite de la toute puissance conférée alors aux cinéastes pour mener à bien des projets démiurgiques, mais surtout pour asséner une pensée nostalgique sur l'Amérique, dont il stigmatise la souffrance, la déchéance. Le tournage de Voyage au bout de l'enfer est littéralement à l'image du titre du film. Adoptant les même méthodes que Friedkin (qui giflait ses acteurs sur le tournage de L'Exorciste, ou leur tirait dessus avec de véritables balles), Cimino mène ses protagonistes dans un no man's land duquel ils ne peuvent s'échapper. Les acteurs font leurs propres cascades, les engueulades se multiplient, les retards sont courants, et Cimino pousse le vice jusqu'à mettre une véritable balle dans le barillet du pistolet qui sert au tournage de la célébrissime séquence de la roulette russe. Par ailleurs, les claques reçues par Christopher Walken durant cette scène sont authentiques. Profitant du succès de son film pour vendre un projet immédiatement qualifié comme sa Passion, celui de La Porte du Paradis, Cimino décide de voir encore plus grand.
Initialement titré Johnson County Wars, Heaven's Gate est considéré plus ou moins à tort comme le film qui détruisit en un éclair la politique d'auteur chèrement mise en place par les cinéastes des années 60 et 70. Clôturant une série de gros budgets transformés en échecs historiques (1941, New York, New York, Le Convoi de la peur, etc.), Cimino a le douloureux privilège de voir son film entrer illico dans le Livre des records. Plus de quarante millions de budget, a peine deux millions de recettes, le film est à l'origine de la faillite de United Artists, créée soixante ans plus tôt par Chaplin, Griffith, Fairbanks, et Pickford. Mégalomane, Cimino se permet tout, se prend pour Stroheim ou Selznick, mais oublie que les producteurs ont changé et se sont pour beaucoup transformés en hommes d'affaires dénués de tout sens artistique. Il fait entièrement reconstruire un décor sur un coup de tête, demande à ce que l'herbe d'une prairie soit repeinte à la bombe pour obtenir un verre éclatant. Au bout du douzième jour de tournage, Cimino en compte dix de retard, et le budget initial de dix millions est déjà crevé. Les producteurs estiment que le film pourrait tripler de coût, menacent de remplacer le metteur en scène par Norman Jewison, mais devant la beauté des plans acceptent d'injecter encore plus d'argent dans le projet. Le cinéaste, méfiant, poste tout de même un garde armé devant la salle de montage, de peur que les bobines ne lui soient retirées.
Le premier montage présenté aux producteurs durait 5h25. Celui qui sort en salles dure encore 3h40.
L'accueil est désastreux, Cimino est automatiquement enterré, et le bide financier devient le prétexte
que cherchait le tout Hollywood pour retirer aux réalisateurs les pouvoirs acquis avec les années.
Ironiquement, c'est en suivant la politique de United Artists (le metteur en scène est l'auteur complet
de son film, et reste totalement absous des décisions des producteurs) que le cinéaste allait conduire
cette maison de production à la faillite. Devant le désastre, celle-ci retire le film des salles, et le
ressort quelques mois plus tard dans un montage plus court de 69 minutes, sans l'aval de Cimino. Le film
est nominé pour les razzies (les oscars de la honte), et mettra plus d'une dizaine d'années avant d'être
reconnu à sa juste valeur. Au-delà des conséquences personnelles de cette fresque racontant comment
l'Amérique a été construite sur un génocide, le cinéaste enterre avec lui le cinéma des années 70. Ce
sera la décennie des E.T, des Guizmo, des Goonies et des Ghostbusters et un cinéaste tel que Cimino,
incapable de connaître à l'avance les goûts du public, n'y a plus sa place. Quelques personnalités
parviennent encore, parfois avec difficultés, à imposer leurs visions (Spielberg, Scorsese, De Palma…)
mais d'une manière générale, le cinéma américain se tourne avec les années 80 vers l'ère du cinéma
pop-corn.
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Récompenses et nominations :
Voyage au bout de l'enfer :
Oscars :
Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleur acteur dans un second rôle
Meilleur montage
Meilleur son
Meilleur acteur (nomination)
Meilleur actrice dans un second rôle (nomination)
Meilleure photographie (nomination)
Meilleur scénario (nomination)
Golden Globes :
Meilleur réalisateur
American Movies Award
Meilleur réalisateur
Meilleur actrice dans un second rôle
Japanese Academy
Meilleur film étranger
BAFTA Awards
Meilleur photographie
Meilleur montage
Los Angeles Film Critics Association Awards
Meilleur réalisateur
New York Film Critics Circle Awards
Meilleur film
Meilleur acteur dans un second rôle
Writers Guild of America
Meilleur scénario original
La Porte du Paradis :
Razzie Awards
Pire réalisateur
Festival de Cannes
Sélection officielle
Oscars
Meilleurs décors (nomination)
L'Année du Dragon
Césars
Meilleur film étranger (nomination)
Golden Globes
Meilleure musique (nomination
Meilleur second rôle (nomination)
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